En cette aube grise et sale du 12 juillet 1518 qui peine à chasser la nuit, Frau Mermette est réveillée par les gémissements de son bébé:
Manger, manger…
Elle s’approche du berceau, prend son enfant dans les bras « et sort, chancelante dans la nuit et en un décor de famine et de maladies. Accrochée à une tringle rouillée, l’enseigne du graveur d’en face grince sous l’effet d’une brise légère. L’épouse du tonnelier a des allures squelettiques de chienne famélique qui retourne au vomi.
Manger… Manger… Il n’y a plus rien pour s’alimenter chez elle et son mari. »*
Elle se dirige tout droit vers le pont du Corbeau sous lequel coule le Rhin, y jette son nourrison et, sans un regard en arrière, se dirige tout droit vers la place de la Cathédrale de Strasbourg où elle se met à danser.
Seule. Sans musique. Jour après jour, regard vide et levé vers le ciel, elle danse, danse sans pouvoir s’arrêter, malgré ses pieds en sang ..
Mais voilà qu’une personne, puis 10 la rejoignent dans cette danse erratique. Une dizaine de jours après, ils sont une cinquantaine à ses côtés, hommes, femmes, enfants… et bientôt plus de 400 sèmeront la terreur et la mort dans les rues de Strasbourg.
S’agit-il vraiment d’une danse ? Pourquoi cette transe étrange les a-t-elle saisis?
Rien de gracieux ni de joyeux ! bras et jambes épuisés de mouvements spasmodiques, leurs vêtements trempés de sueur leur collent à la peau et révèlent des corps squelettiques; Tous ont le même regard vague tourné vers le ciel, leurs cris déchirants comme un appel à l’aide aux dieux..
« ON N’A PLUS RIEN, ALORS ON DANSE. »
Il s’agit d’une danse du désespoir. Une femme, entrée dans le cercle a crié « On n’a plus rien, alors on danse. » En effet, le clergé terrorise la population et lui fait payer fort cher le rachat de ses péchés, pour éviter l’enfer et l’enterrement dans la partie non bénie de la ville. (scandale des indulgences, qui chassera le catholicisme, remplacé quelques années après par le protestantisme). Une invasion turque menace. Strasbourg est victime de plusieurs catastrophes naturelles.
La famine est là.
Une très étrange solution mise en place par la ville
Comme l’épidémie s’aggravait, les nobles et le clergé inquiets demandèrent l’avis des médecins . Ce n’est pas une crise d’épilepsie collective: les danseurs ne bavent pas. Ni une crise d’ergotisme (moisissure du seigle, qui produit des hallucinations. Est alors évoquée une « maladie naturelle », causée par un « sang trop chaud ».
Pèlerinage des épileptiques de Moelenbeek, Bruegel le Jeune, 1592
Les autorités pensèrent en finir en soignant le mal par le mal : ils encouragèrent les danseurs en établissant un marché aux grains et en construisant une scène en bois. Ils pensaient en effet que les malades ne s’arrêteraient de danser que s’ils pouvaient le faire sans interruption jour et nuit jusqu’à épuisement. Pour améliorer l’efficacité du traitement, les autorités embauchèrent même des musiciens pour maintenir la danse des malades. Les danseurs furent nourris et le quartier mis en quarantaine pour que cesse la contagion.
2000 des 16 000 strasbourgeois d’alors dansèrent pendant 2 mois. Puis, aussi soudainement que ça avait débuté, tout s’arrêta. Sans raison.
La peste dansante
Une histoire vraie, très peu connue car longtemps cachée par l’Eglise. Pourtant largement documentée par archives, médecins, et chroniqueurs de l’époque, et même citée par William Shakespeare qui l’a nommée « The dancing Plague » La Peste dansante
Lire aussi ce magnifique et terrible poème de Baudelaire sur la mort la danse macabre « Elle a la nonchalance et la désinvolture D’une coquette maigre aux airs extravagants. »
* En 2018, Jean Teulé, de sa signature si singulière, en a fait un roman extraordinaire.
Dansez, c’est ce que l’on peut répondre au désespoir
Pour un zeste de beauté après cette triste et macabre histoire, Strasbourg aujourd’hui.
Vendanges – Très Riches Heures du Duc de Berry XVe siècle
Après la chute de l’Empire romain, la viticulture conserve le prestige qu’elle a acquis durant l’Antiquité, et demeure un symbole social majeur. Premier personnage des cités du haut Moyen Âge, l’évêque s’impose aussi comme le plus important des viticulteurs.
Au Moyen Âge, le vignoble régresse partout en Europe.
On doit en partie sa survie au travail de culture et de valorisation entrepris par les communautés religieuses
La paulée, c’est d’abord une tradition qui nous vient de Bourgogne. Ses origines remontent au Moyen Âge. Les moines de l’Abbaye de Cîteaux qui régnaient en maîtres sur la Bourgogne célébraient la fin des vendanges par un repas bien arrosé où tous les vendangeurs étaient conviés.
La coutume tombe aux oubliettes à la Révolution française et ne sera reprise qu’en 1923 par Jules Lafon, du domaine éponyme à Meursault
L’appellation Paulée descend du mot Paule en patois qui signifie “pelle”.
Ce terme fait référence à la dernière pelletée de raisin versée dans le pressoir et donc à la fin des vendanges (la fin de la récolte des raisins dans le domaine).
Ce jour-là, le retour des vignes y est plus agité qu’à l’ordinaire pour signaler la fin du travail des sécateurs et le début des réjouissances.
La paulée, un repas pas tout à fait comme les autres
La Paulée ou le Tue-chien est un banquet offert par le propriétaire aux ouvriers à la fin des vendanges. Un moment de partage où convivialité est le maître mot de la soirée et où l’on partage de doux breuvages et un bon repas. Repas festif pendant lequel les convives pratiquent ensemble l’art du « bien manger » et du « bien boire » mais aussi le « bien être » ensemble. Les convives célèbrent au cours de ce repas le plaisir du goût, l’harmonie entre l’être humain et les productions de la nature.
Aujourd’hui encore, c’est un repas traditionnel où se retrouvent tous les amoureux du vin et de la vigne. Si par chance vous en faites une, vous y croiserez des vignerons, des vendangeurs, des oenophiles et tous les amoureux de notre passion commune !
En général, cet événement a lieu en septembre, une fois les vendanges terminées. C’est en effet une manière de clore en beauté ce temps fort de l’année. À cette occasion chacun apporte son vin, sa pépite, son merveilleux breuvage avec pour objectif de le partager avec les autres invités.
Le repas des paulées traditionnelles consiste en Côte de Beaune en un « pot-au-feu ou civet de lapin avec des flans et des brioches ». À Nuits-Saint-Georges, on mange de « l’épaule de veau ou de mouton farci, des brioches, du flan à la semoule et des corniottes au fromage blanc », servis à la propriété aux ouvriers viticoles.
Les Confréries du Vin
Le protocole des Confréries débute par une bénédiction religieuse , depuis les origines médiévales de La Paulée des moines de Cîteaux
Les Trompes du Débuché de Bourgogne, les confréries et mutuelles lors de la bénédiction sainte en la cathédrale Saint-Vincent. Photo J. -M. M
Elles sont nombreuses et portent des noms amusants parfois, comme celles de La Côte Chalonnaise, la Chanteflûte, ou les Embrasseurs du fin goulot. Avec la vente des vins des hospices de Beaune et le chapitre de la plus connue,la confrérie des Chevaliers du Tastevin, la Paulée fait partie des « Trois glorieuses » vigneronnes bourguignonnes.
Et même malgré l’apparition de la machine à vendanger, il reste encore beaucoup de vignerons qui récoltent à la main.
La Paulée a donc encore son essence : il s’agit bien chaque année d’une révolution, c’est-à-dire la fin d’un cycle de vigne et le début d’un autre.
Le foulage du raisin 1490
Qui décide de la date des vendanges ?
C’est dame nature qui le fait savoir en fonction du sol, du millésime et du cépage.
🦋Petite remarque sur l’accent circonflexe:
Il a remplacé le S (souvent devant un T). Ainsi le mot hôtel s’écrivait hostel et on le trouve encore dans hostellerie (😉attention ! ce S est ici synonyme de « prix élevé « ) J’ai parlé des moines de Cîteaux, autrefois Cisteaux, ville où est né l’Ordre religieux des Cisterciens, qui ont édifié notamment l’Abbaye de Fontenay, XIIe siècle, inscrite au Patrimoine Mondial de L’UNESCO
Le 8 Septembre 2022, le décès de la Reine Elizabeth II a été annoncé aux cinq ruches royales dans les jardins du palais de Buckingham, entretenues par un apiculteur royal, J.Chapple. L’annonce faite aux abeilles de la Reine a pu faire rire mais il est toujours intéressant de comprendre d’où vient une coutume.
Les abeilles, le miel et les humains
Ce lien entre les humains et les abeilles se retrouve dans de nombreux mythes.
Si la récolte du miel en pleine nature s’est pratiquée, et se pratique toujours dans certaines zones du monde, la gestion humaine des ruches est également très ancienne.
En Mésopotamie, le miel peut sucrer le vin pour augmenter le taux d’alcool (et d’ivresse…)Mais il est également utilisé en médecine. En Égypte ancienne, un mythe explique la naissance des abeilles et du miel : ledieu Rê pleura et ses larmes tombèrent sur le sol et se changèrent en abeilles ; l’abeille construisit ses rayons, son activité s’exerça sur les fleurs de toutes les espèces végétales; ainsi naquit la cire, et ainsi naquit le miel, à partir des larmes du dieu Rê.
Un mets raffiné aux multiples vertus, également lié aux usages religieux, ou pour fabriquer des plaques de cire pour écrire, des bougies, et la cire perdue pour sculpter.
Ainsi, c’est une véritable relation qui se crée entre les humains et les abeilles fascinantes dans leur organisation sociale. En effet, les abeilles possèdent un fantastique sens de la communication qui leur permet de mener à bien leur mission au sein de leur ruche.
Les écrits et illustrations au fil du temps présentant la relation entre les humains et les abeilles ne manquent pas, permettant ainsi de mieux comprendre les dispositifs mis en place comme les traditionnelles ruches en osier ou en paille.
Si l’humain veut du miel ou de la cire, il doit alors prendre soin de ses abeilles matériellement…et pas seulement. S’occuper des abeilles est une implication à long terme mais peut devenir très lucratif pour un foyer.
Les ruches sont si convoitées qu’il y a même des voleurs de ruches au Moyen Age !!
Dans l’iconographie médiévale, on peut découvrir différents types de ruches, comme des troncs percés, mais c’est surtout l’image de la ruche tressée qui se retrouve la plus souvent.
La coutume de l’annonce aux abeilles
L’annonce aux abeilles est une coutume traditionnelle de nombreux pays européens dans lesquels les abeilles seraient informées des événements importants de la vie de leur gardien, tels que les naissances, les mariages ou les départs pour de longues absences dues a des voyages par exemple. Si la coutume était omise ou oubliée et que les abeilles n’étaient pas « mises en deuil », alors on pensait que cela entraînerait d’autres pertes : les abeilles quitteraient la ruche, ne produiraient plus de miel, voire mourraient. La coutume est surtout connue en Angleterre, mais a également été observée en Irlande, au Pays de Galles, en Allemagne, aux Pays-Bas, en France, en Suisse, en Bohême et aux États-Unis.
Et c’est en cette fin de XIXe siècle, siècle, incontournable en histoires funéraires qu’ont émergé des récits terribles de morts d’abeilles qui n’auraient pas été prévenues du décès de leur propriétaire de la bonne façon, parlée ou chantée.
Dans certains cas, il convient de frapper à la ruche avant de dire les phrases attendues.
L’annonce aux abeilles en France
On trouve des récits écrit en français, au début du XXe siècle.
On y parle de “faire porter le deuil” aux abeilles: les ruches sont alors ornées d’un ruban de crêpe noir, le tissu le plus utilisé dans le deuil au XIXe et durant la première moitié du XXe. Parfois, on utilisait le tissu le plus sale ayant appartenu au défunt pour l’accrocher aux ruches. Cet apparat est une constante dans le monde anglophone et dans les campagnes françaises et occidentales.
Certaines régions se contenteront d’orner la ruche du morceau de tissu tandis que d’autres vont orner la ruche et parler aux habitantes.
En 1915, on essaye de trouver l’origine d’une telle attitude face à la mort.
Un lien avec le monde celte ? Si les abeilles et leur miel avait une place importante pour les peuples en question, l’idée d’une abeille psychopompe à l’origine de l’annonce aux abeilles n’est pas avérée.
De plus, en 1915, les récits fantasmés de la vie celtique ont le vent en poupe.
Chaque région a sa propre formule pour s’assurer que les abeilles aient bien entendu le message: on pouvait taper du plat de la main sur la ruche dans les Hautes-Vosges ou bien donner un coup de baguette dessus. Si les abeilles bourdonnaient, c’est qu’elles avaient bien écouté le message.
Voic un très joli poème basque qui leur est adressé:
Pourquoi parler aux abeilles était-il si important ?
Au regard des différentes sources du XIXe et du XXe siècle, l’attachement aux ruches est sans équivoque. Les abeilles peuvent aussi être touchées par une forme d’anthropomorphisme de la part de leurs familles humaines. C’est un moment extrêmement sensible d’interdits, de précautions qui peuvent avoir différentes formes selon les sociétés ou les religions pratiquées. Cette précaution de prévenir les abeilles s’inscrit dans ces attitudes face à la mort car c’est un moment de suspension du temps. une forme de “sécurisation” au moment sensible de l’annonce d’une mort et des funérailles qui font trembler la famille et le groupe social car la mort n’était pas une question individuelle, elle pouvait toucher un village entier. Les funérailles ne se sont pas encore tenues et il faut régler tout ce qui touche aux affaires du quotidien: prévenir les autres, préparer l’endroit de la veillée en faisant le ménage, préparer le mort, aller dire au menuisier de fabriquer le cercueil…
et prévenir les abeilles qu’elles ne sont pas abandonnées.
En préparant ce quotidien, le groupe fait face à l’évènement et tente de sécuriser ce qu’il reste du mort et qui doit se transmettre. Et les animaux en font partie. En prévenant les abeilles, on s’acquitte aussi du rôle social de prendre soin du défunt et de ses proches en deuil. Les abeilles pouvaient ensuite se voir offrir des victuailles comme des biscuits ou des gâteaux provenant des célébrations ou encore un verre d’alcool local voire de vin. Elles aussi actaient la mort de leur apiculteur.
L’iconographie du XIXe siècle nous montre que le recueillement des veuves auprès des ruches est aussi un moment privilégié pour honorer le défunt et se souvenir de sa mémoire. La vie continue dans les ruches.
les ruches d’un mort ne sont jamais ni vendues, ni données. « vendre ses abeilles, c’est vendre sa chance »
Les abeilles ne sont-elles prévenues que lors d’évènements tristes ?
Non. Les abeilles participaient par le passé (et encore maintenant dans certains cas) à tous les évènements importants qui touchaient une famille. Lors de naissances, d’autres étoffes de tissu pouvaient être accrochées aux ruches. Une tradition en Bretagne stipulait qu’à moins que les ruches d’abeilles ne soient décorées d’un tissu écarlate lors d’un mariage et que les abeilles ne soient autorisées à participer aux réjouissances en goûtant au gâteau , elles s’en iraient. Les abeilles et les ruches sont intégrées aux familles et leur comportement sert également de repère quotidien avéré ou non: météo, annonce d’un futur décès, blasphémateur dans les environs.
La ruche et les abeilles rejoignent également des dates calendaires à portée religieuse catholique par exemple en Occident. Ce lien entre les abeilles et la religion n’est pas anodin puisque par le passé, la figure du prêtre apiculteur était courante dans les campagne. La ruche et son fonctionnement étaient perçus comme un modèle prodigieux d’organisation et de travail ainsi que d’une union.
Dans l’icongraphie médiévale,une hostie peut être cachée dans la ruche, et l’abeille être une image de Marie: