BELOÏAR, bûcheron de SIBÉRIE

« Et ceci, c’était les dernières réminiscences
Du dernier jour
Du tout dernier voyage »
Blaise CENDRARS – la Prose du Transsibérien


Mes dernières 24 heures en Transsibérien et je serais à Oulan-Oudé où, je l’ai déjà raconté, je rencontrerais Maria, la bouriate.

Tous les voyageurs m’avaient enrichie de l’histoire de leur vie, car il est facile de se confier à quelqu’un que vous ne reverrez jamais. Nous avions ri ensemble, beaucoup bu de vodka distillée à la barbe des autorités, j’avais goûté aux spécialités  qu’ils m’avaient offertes et tous étaient descendus au fil des gares.

Pour la première fois, j’étais seule dans ma voiture à 6 couchettes jusqu’au lendemain.

Dernier arrêt du train. Plutôt long..

Soudain, apparut un géant qui semblait sorti tout droit de mon imaginaire nourri aux contes de fées de mon enfance : Barbe Bleue !!  

Gustave DORÉ

Béloïar, le bûcheron sibérien 

Je lui ai donné un ancien prénom russe païen, Beloïar, « force sacrée » faute d’avoir connu le sien.
Il s’assit face à moi, me jeta un regard étonné, grommela un bonjour et se tourna vers la fenêtre car le train repartait.
J’étais impressionnée voire un brin inquiète..24 heures,dont une nuit, seule en sa compagnie ..
Ce fut au contraire le souvenir le plus étrange et le plus fort .

Au bout de quelques instants d’un lourd silence et d’un grand soupir, il sortit de son sac une miche de pain noir , du saumon qu’il déchira à la main et m’en offrit la moitié .
À mon tour, je lui proposai du fromage ..

Nous avions trouvé un moyen de communiquer..

Il m’expliqua alors, par gestes, qu’il vivait seul, là, quelque part dans les forêts et qu’il était bûcheron.. je répondis « France, Paris « .
Le repas terminé, il se tourna vers la fenêtre et se mit à parler en russe …je lui répondis en français et ce « dialogue « dura très longtemps…
Que nous sommes-nous dit ? Je ne parle pas russe, il ne comprenait pas le français.
Ni lui,ni moi, ne le saurons jamais…
Mais nos paroles étaient paisibles et calmes, comme les paysages enneigés sous nos yeux.

Découvrir la Sibérie : https://fr.wikipedia.org/wiki/Sibérie

Le bûcheron qui lisait Tolstoï

La nuit tombait. Un silence apaisé s’installait.
Il s’allongea et commença à lire…
Parce que j’ai étudié le grec ancien, j’avais pu rapidement déchiffrer -à peu près- l’alphabet cyrillique et je découvris qu’ il lisait un roman de TOLSTOÏ .
Je prononçai le nom à voix haute et il acquiesça…
Par gestes encore, il m’expliqua qu’il aimait cet auteur et lisait tous ses romans.

À bientôt !            🌲🌲…

« Je ne trempe pas ma plume dans un encrier, mais dans ma vie. »

Et j’écris ici comme le dit Blaise Cendrars, poète et écrivain du XXème siècle.

Comme je l’ai précédemment raconté , sa très célèbre Prose du Transsibérien m’a décidée, à l’âge de 17 ans, à marcher un jour dans ses pas.

J’ai attendu plusieurs années, il me fallait le temps et l’argent, mais j’y suis parvenue, forte de cette citation de mon prof’ de philo :

« Ne renonce jamais à tes rêves, tu pourrais bien te mépriser.« 

Je suis donc partie seule, aux premiers jours d’un mois de janvier, pour une parenthèse magique de 2 mois, en Russie puis en Chine. 

J’aime le froid et la neige.

 Dans les pages qui suivront, tous les 15 jours, je vous raconterai différents moments de ce voyage en transsibérien, de Moscou à Oulan-Oudè, puis en Transmandchourien, jusqu’à Pèkin.

Mais, en attendant, pour que vous puissiez comprendre pourquoi il m’a enchantée,

je vous laisse écouter la PROSE du TRANSSIBÉRIEN, un long poème en prose d’une dizaine de pages et dont je copie ci-après la première strophe:

Blaise CENDRARS y évoque la légende de Novgorode, l’un de ses premiers poèmes, que je vous livre également:

  La Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France

En ce temps-là, j’étais en mon adolescence
J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance
J’étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance
J’étais à Moscou dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares
Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours
Car mon adolescence était si ardente et si folle
Que mon cœur tour à tour brûlait comme le temple d’Éphèse
Ou comme la Place Rouge de Moscou quand le soleil se couche.
Et mes yeux éclairaient des voies anciennes.
Et j’étais déjà si mauvais poète
Que je ne savais pas aller jusqu’au bout.
Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare croustillé d’or,
Avec les grandes amandes des cathédrales, toutes blanches
Et l’or mielleux des cloches…
Un vieux moine me lisait la légende de Novgorode
J’avais soif
Et je déchiffrais des caractères cunéiformes
Puis, tout à coup, les pigeons du Saint-Esprit s’envolaient sur la place
Et mes mains s’envolaient aussi avec des bruissements d’albatros
Et ceci, c’était les dernières réminiscences
Du dernier jour
Du tout dernier voyage
Et de la mer………

À bientôt, dans 15 jours…🚞🚃🚃

« Il est grand temps de rallumer les étoiles »

Et, pour Guillaume Apollinaire,
« Tous les astres intérieurs que l’on avait éteints ».

Ulan-Ude,       la cathédrale orthodoxe Odigitria

Très modestement, je vais essayer d’éclairer un brin votre journée , par une histoire qui, si elle n’était vraie, pourrait sembler un conte ..

Je réalisais enfin mon rêve de mettre mes pas dans ceux de Blaise Cendrars et j’étais « à mille lieues du lieu de ma naissance »,en République de Bouriatie, sur  la rive sud du lac Baïkal,« la mer Sacrée » des Bouriates,anciens nomades mongols à la culture mêlée de chamanisme et de boudhisme.

Mon voyage en transsibérien+ transmandchourien ( Moscou- Pékin)

Fermez les yeux et imaginez :

Je suis à la gare d’Ulan-Udé, après 5 magnifiques journées dans le Transsibérien. C’est un soir de la mi-décembre , il fait… – 32° et tout est blanc.

Et, comme je le fais toujours lors de mes voyages,
je n’ai rien réservé du tout car j’adore l’imprévu.

Un taxi me conduit donc dans un hôtel de son choix : un établissement très certainement luxueux dans les années 70-80 ,quelque peu défraîchi aujourd’hui..

ouf ! Sauvée, l’hôtesse parle anglais !

Je réserve immédiatement un sauna pour le lendemain après -midi ( j’ai vécu en Finlande et j’en connais le rituel et les bienfaits..)

Le sauna se trouve dans les sous-sols et me voilà seule dans un long couloir dont je ne trouve pas la lumière..j’avoue que je suis légèrement impressionnée car l’inquiétant fantôme bolchévique de Lénine rôde là, très présent dans ces murs..

J’aperçois une lueur tout au fond, une porte entrouverte sur une petite pièce et 2 femmes qui m’observent avec curiosité : l’une est russe, l’autre, bouriate de toute évidence.

Le Chien Noir

Quelques minutes de silence..

et soudain, à plus de 6 000 kms de toute « civilisation »moderne, aux confins de la Sibérie, dans ce lieu sombre et intemporel , Maria, la Bouriate, s’adresse à moi dans….un français parfait et sans aucun accent !!

— »Toi, tu es française ! » CE n’est pas une question .Une certitude.

— »Oui, je m’appelle Maryse et je cherche le sauna.. »

Maria est une petite bonne femme, au visage ridée comme une pomme qui transpire joie, humour et bonne humeur.Elle m’y conduit et je la laisse m’expliquer les rites du sauna que je connais déjà fort bien..

Je suis en pleine forme lorsque j’ai terminé et j’ai l’impression de rêver :

Le couloir est totalement lumineux, les fantômes ont laissé place à une trentaine de joyeuses personnes dans une très belle salle.

Maria  devant la porte avec un grand sourire malicieux:

— »Nous t’avons attendue pour commencer la fête ! Tu as cru que j’étais une employée de l’hotel , n’est-ce pas ? Non, je célèbre ici mes 60 ans avec tous mes amis. Et toi, tu es mon chien noir. « 

— »🤔🤔🤔 ton chien noir ???

— »Dans notre culture bouriate, si nous rêvons d’un chien noir, c’est le symbole d’une nouvelle et très belle amitié. Et toi, Maryse, tu es venue de très loin pour être ce chien noir dont j’ai rêvé. Et tu m’apportes en cadeau l’immense plaisir de parler cette belle langue française que j’aime « .

Ce fut alors quelques heures extraordinaires avec tous ses amis, d’innombrables plats savoureux et du champagne à volonté ! 3 personnes parlaient français mais Maria était la seule à s’exprimer parfaitement..

— »Je suis née dans un petit village de 100 habitants, tout en haut du lac Baïkal.Mon père était pêcheur. Nous n’étions pas riches, les hivers étaient rudes mais nous étions heureux. Le régime soviétique avait imposé à l’école l’apprentissage d’une langue étrangère et mon village est tombé sur le français. Tout le village continue à parler le français et cette année ,nous y fêterons le cinquantenaire du français .Je me suis mariée ici et je vis donc à Ulan-Udé »

—  » as-tu rencontré d’autres français ? Comment fais-tu pour continuer à parler si parfaitement ? »

—  » non, tu es la première française que je rencontre, mais je lis beaucoup en français. Écoute ce poème de Verlaine que j’adore et que je t’offre ce soir:

Les sanglots longs des violons de l’automne
Blessent mon coeur d’une langueur monotone… »

Les émotions véritables se passent de mots… Et toute la soirée en fut emplie !!

Une amitié durable 

À la fin de la fête,Maria me déclara, en riant :

— »on m’avait dit que les français était snobs , mais tu ne l’es pas du tout.Alors,si tu veux, demain, je te ferai visiter ma ville et tu déjeuneras chez moi.Nous cuisinerons ensemble et tu apprendras à préparer une spécialité bouriate « 

Bien sûr, cette très belle histoire ne s’arrête pas là.

Et je vous raconterai la suite la prochaine fois..

Dans 15 jours, 🦋🦋…